La roue de la vie

A Décines, la clinique Champ-Fleuri propose trois types d'accouchements. Classique, en piscine ou dans la roue Roma, une invention d'un artiste suisse. Trente-six enfants ont déjà vu le jour ainsi depuis avril.

Vertes et mauves tendres, les tubulures arrondies servent à soutenir un siège. Comme un élément d'un décor de Decouflé, comme un hamac... la roue Roma est une oeuvre d'art utilitaire, sans rien de péjoratif dans l'épithète. L'art est depuis longtemps entré dans les hôpitaux, les cliniques et les maternités, sous forme de tableaux, de sculptures ou de fresques, mais sous forme de matériel, cela reste encore rare. Plus à la clinique Champ-Fleuri de Décines, une maternité spécialisée en gynéco-obstétrique. Depuis avril, Ies femmes peuvent en effet accoucher sur la roue créée par l'artiste suisse Paul Degen. Sur 421 parturientes, 36 ont choisi la salle verte au plafond décoré d'étoiles de mer et de coquillages dans laquelle a été installée la roue. La première née fut Léa 3 kilos et demi. Sa maman avait 20 ans et c'était son premier accouchement.

Présentée en 1994

Christopher dort paisiblement dans son berceau de Plexiglas, sa maman à ses côtés. Il est né il y a quelques jours sur cette même roue. "C'est mon troisième enfant, explique Annick. Avec la roue, c'est merveilleux. J'ai accouché assise et je l'ai vu naître. C'est comme une balancelle, c'est mobile. Quand j'avais trop mal au rein, je pouvais m 'installer en me penchant en avant. Il y a de nombreux points où s'accrocher et grâce à une commande on peut orienter la roue, descendre, monter. On cherche la position la plus confortable, on n'est plus prisonnière d'un lit et de la position couchée". Pour aider la future maman à trouver sa place, une sage-femme donne aussi des conseils pour la position du bébé. "Au départ, les médecins sont un peu surpris de se retrouver en position accroupie ou assis par terre, mais ils s'habituent et tout se passe bien", raconte Roselaine Moreau, sage-femme de la clinique. La roue Roma a fait son entrée à Champ-Fleuri un jour de 1994 dans les cartons d'un ami de l'artiste venu prospecter le marché. Intéressée, I'équipe se rend à Lausanne pour un salon de gynéco-obstétrique et découvre la roue grandeur nature. Quelques coups de fil à des maternités françaises déjà équipées, à Marseille notamment, finissent de les convaincre d'acheter l'engin. Mais il fallait encore résoudre le problème financier.

La roue coûte 40 000 francs suisses, soit près de 170 000 francs. La volonté des sages-femmes et des médecins qui acceptent depuis longtemps de voir les parturientes marcher après une légère péridurale, mettre au monde leur enfant sous la douche, assises ou dans la position qu'elles trouvent la plus confortable l'a emporté sur l'aspect financier. La roue commandée en décembre est arrivée en avril. "Le temps que l'on refasse cette pièce". La salle est longue, peinte en vert pâle, couleur assortie aux teintes de la roue. Au plafond l'éclairage est diffus. La roue est installée au fond de la pièce, un monitoring à ses côtés. Il y a aussi un lit classique pour parer à toute éventualité. Le bloc opératoire est proche. Côté sécurité, I'équipe a également fait ses propres tests."Avec l'inventeur, nous avons essayé de tester une situation de grosse urgence. Nous avons pu glisser un lit sous l'appareil et installer la personne à transporter en un temps record". Sur la roue, les accouchements peuvent se faire sous péridurale, en diminuant la dose de moitié afin que la jeune femme puisse bouger les jambes. "Comme en piscine, nous avons beaucoup moins d'épisiotomie".

Après une opération du dos

C'est à la suite d'une hospitalisation après une opération du dos que le concepteur de Roma à eu l'idée de cette roue. Paul Degen, allongé après l'intervention chirurgicale, à souffert de constipation chronique et l'obligation de rester couché sur le dos lui était pénible. "Dans cette situation, ce qu'il désirait le plus c'était de pouvoir se mettre en position verticale et s'aggriper. Une femme sur le point d'accoucher n'avait-elle pas, au fond, /es mêmes souhaits", s'interroge l'ami de l'artiste, Bruno Busschart. "C'est dans la littérature que Dengen trouva plus tard la confirmation du bien-fondé de son raisonnement. En effet son idée était déjà connue des cultures antiques, mais s'est égarée au cours des siècles. Notre civilisation moderne en avait perdu la trace. La roue de naissance permet à la femme indépendante de notre culture d'accoucher "verticalement" et naturellement".

Des réflexions qui vont dans le sens des souhaits de Roselaine Moreau. "J'ai une haute opinion de la femme qui accouche. Je souhaite qu'elle vive la naissance de son enfant. Cela me semble important". Selon la spécialiste, les péridurales à haute dose entraînent un nombre de gestes supplémentaires trop important. "Or neuf accouchements sur dix se passent très bien". "Je suis une fana des accouchements dans l'eau et je pense que la roue Roma est une bonne alternative", parce qu'elle permet la péridurale. "C'est une question de mécanique, lorsque l'on est assise, le bébé se présente mieux aussi"... De toutes facons, Roselaine Moreau n'aime ni les lits ni les étriers.

Lyon Société, 12 août 1996